La colonie « les Tilleuls »
C’est en 1910 que la caisse des écoles du 12e arrondissement de Paris fut avisée qu’un établissement comprenant plusieurs corps de bâtiments, précédemment occupés par des institutions religieuses, était à vendre à Villeblevin. Le prix de vente fut de 40 000 francs.
Petite histoire vécue de la colonie du XIIe arrondissement par Rosine Robin.
Bonjour à tous ceux qui fréquentent ou ont fréquenté l’un ou l’autre de ces deux sites, aujourd’hui séparés, mais dont l’histoire fut commune pendant plus de quatre vingt ans. A tel point que je ne puis parler de l’un sans évoquer l’autre. A vous d’observer, de réfléchir et de comprendre selon les photographies (espaces, circulation, tenues, jeux, discipline, … ) de poser des questions, de chercher dans votre Larousse : colonie, prieuré, …
La petite colonie
Autrefois la petite colonie accueillait garçons et filles parisiens de 6 à 14 ans en internat et pendant les grandes vacances. En 1986, date de rachat par la commune, elle est devenue l’école primaire de Villeblevin et accueille à ce titre les filles et garçons de 6 à 11 ans.
C’est l’école, d’immenses acacias légers et odorants dépassent les toits du grenier. Sur la photo on aperçoit Alphonse Gaugnié le jardinier, sa femme et M. Gautrois un voisin, tandis qu’à l’arrière plan un cultivateur assis dans son « tombereau » descend la grande rue. Devant la grille d’entrée, posant pour la photo, deux jeunes peintres- ouvriers, arrivés de Paris pour rénover les bâtiments achetés récemment par la caisse des écoles du XIIe arrondissement.
1912 – C’est la belle saison. Entrons dans la cour en faisant crisser les graviers, dirigeons-nous à droite et pénétrons dans le réfectoire ; grande salle profonde où des fillettes, assises sur des bancs de bois, déjeunent sur des planches frottées chaque jour à l’eau javellisée. Elles protègent leur encombrant uniforme avec d’immenses serviettes de coton blanc. Ces demoiselles déjeunent correctement, dans le calme, avant de retourner s’ébattre dans le pré de la grande colonie. Le mois suivant, les garçons viendront remplacer les filles. La mixité n’était pas encore à la mode.
L’année scolaire 1923 / 1924 vit l’ouverture de la « petite colonie » pendant l’hiver. M. Courtin en prit la direction d’octobre à juillet, tandis que M. Antoine, administrateur de la caisse des écoles du XIIème arrondissement de Paris conservait celle de la « grande colonie » pendant l’été. Il
fut remplacé, plus tard, par M. Frichet.
Dans cet internat, bien chauffé, on installa une cloison dans le réfectoire afin de le séparer de la classe des grands : CM1, CM2, fin d’études, tandis que celle des CP, CE1 et CE2 se trouvait dans la classe du fond de la deuxième cour. Les jours de pluie ou de grand froid, les garçons jouaient dans le sombre préau qui faisait face à la classe des grands.
Cette cinquantaine de « colons » (ce terme n’était nullement péjoratif) de 6 à 14 ans occupait les trois dortoirs (sans surveillant) des étages du bâtiment central (actuellement classes), le rez-de-chaussée était occupé par la cuisine, l’infirmerie et les douches.
Chaque jour, qu’il pleuve ou qu’il neige, les « colons » en culotte courte, protégés du froid par une lourde cape et un grand capuchon bleu marine foncé, le béret sur la tête rasée (les poux sévissaient déjà), les pieds dans des galoches bien cirées, arpentaient en compagnie d’une seule institutrice, les rues du village et les nombreux chemins (sans mobylette) de Gerjus, Chaumont, La Chapelotte, Port Renard ou la grande descente de la Vanne vers Saint Agnan. Malgré des conditions climatiques parfois dures, aucun ne s’enrhumait.
Au fil du temps on remplaça les graviers par du ciment, les acacias par des tilleuls et, jusqu’à la dernière guerre, des massifs de fleurs autour des arbres égayèrent la cour de récréation.
Durant la période 1914 / 1918, les bâtiments furent réquisitionnés et transformés en hôpital militaire afin d’y soigner des blessés.
La grande colonie
Autrefois, elle ouvrait ses portes pendant les grandes vacances et les vacances de printemps pour accueillir garçons et filles parisiens de 6 à 14 ans. Depuis juillet 2003 le centre « les tilleuls » accueille également les enfants de Villeblevin et des communes avoisinantes pendant les vacances et en activités péri-scolaires.
Après la première guerre mondiale, on fit aménager les bâtiments de la grande colonie sans pour autant faire installer le chauffage dans les immenses dortoirs qui ne servaient que l’été : soixante-dix lits dans le plus grand, quarante dans l’autre. Des moniteurs ou monitrices dormaient derrière de grands rideaux blancs. Deux surveillants pour le grand dortoir, un à chaque extrémité, un seul surveillant pour le petit dortoir.
Les lits, au sommier en treillage de fer soutenaient un matelas garni de varech, un polochon, des draps épais en coton blanc et une couverture grise. Un couvre-pieds rose ou blanc recouvrait le tout et un tabouret en fer, posé au pied du lit, recevait les vêtements du colon. Les effets personnels de l’enfant étaient déposés dans un petit placard au-dessus de la tête du lit.
Près de l’escalier, dans l’angle du bâtiment juste au-dessus de l’immense cuisine, des rangées de lavabos et de cabinets, où coulait abondamment l’eau froide, séparaient les deux dortoirs.
Les uniformes étaient fournis aux enfants défavorisés et aux cas sociaux par la caisse des écoles; tablier noir, collerette bleu clair bordée d’un liseret blanc, béret blanc pour les filles, noir pour les garçons. L’été, les filles portaient une jupe culotte beige, un tricot blanc et une écharpe orange pliée en pointe. Le linge était lavé dans une immense lessiveuse et séchait sur deux longues rangées de fil dans le deuxième jardin, à coté du pré du fond. A la lingerie, on ravaudait, repassait, pliait et rangeait les vêtements propres.
Au rez-de-chaussée, une chaudière à charbon, installée entre cinq douches et trois baignoires, permettait à tous de se laver correctement. Pudeur oblige : Je suppose que c’est pour la photo car, plus tard je n’ai connu ces maillots de bains, qu’amassés dans les placards de la lingerie du prieuré. Dans mes souvenirs, sous chaque douche, je revois cinq ou six enfants, nus, frottés énergiquement par les femmes de service.
Villeblevin était très apprécié et l’on commença à parler « d’école de plein air ». A partir de 1937 on vit arriver des classes entières à la petite colonie de la mi-avril au début juillet, lorsque le chauffage des dortoirs n’était plus nécessaire. C’était les classes de plein air. La cuisine se faisait alors, comme pendant l’été, dans la grande colonie et l’on voyait circuler, selon les heures, entre les deux sites, les enfants qui allaient déjeuner ou jouer dans le pré (filles dans l’un et garçons dans l’autre), et ceux qui descendaient vers les classes pour travailler. Encore que la chapelle vit parfois les écoliers l’occuper.
Dans l’immense réfectoire, deux rangées de dix tables de dix enfants séparaient garçons et filles surveillés par trois maîtresses. Les repas étaient préparés sur place. La viande était achetée localement chez le boucher, M. Morgallet. Les fruits et légumes venaient pour la plupart du potager de la grande colonie, entretenu par Alphonse Gaugnié le jardinier. L’hiver, on utilisait riz, pois cassés, pâtes, haricots, lentilles que l’on entreposait dans de grands sacs de toile, dans le grenier de la petite colonie. La vaisselle se faisait dans de grands bacs, sous un hangar ouvert à tous vents, accolé au réfectoire et donnant sur le petit potager.
En 1939 un jeune officier, prêtre de son état, vint occuper à lui seul, la grande colonie où il n’y eut jamais de blessés. Juin 1940 arriva avec les bombardements de Montereau, le pont de Misy que l’on fit sauter, et l’occupation de la petite colonie par la prévôté (gendarmerie militaire) qui conseilla au directeur de rassembler les enfants et de fuir devant l’arrivée imminente des troupes allemandes. C’était l’exode avec son lot de mitraillages et de bombardements sur les routes encombrées de soldats et civils à pied, en charrette ou quelques-uns en voiture. Les deux cent vingt cinq enfants furent dispersés, mais, plus tard, se retrouvèrent de nouveau tous réunis à la colonie.
Après 1945 les vacances furent accordées de la mi-juillet à fin septembre : les colons retournaient chez eux, début septembre. A cette période de l’année, il fallait remettre les locaux et le matériel en état et Mme Tavard, matelassière à Villeblevin qui demeurait au 126 Grande Rue, venait « carder » la laine et le varech dans le préau de la grande colonie.
En 1954, M. Courtin prit sa retraite et fut remplacé par M. Virey qui, plus tard, laissa la place à M. Broussoux et aux « classes de nature ». Petit à petit, Villeblevin perdit de son attrait car les parents avaient la possibilité d’aller en vacances et d’emmener leur progéniture au bord de la mer ou à la montagne. Pendant de longues années les bâtiments furent fermés.
En 1986 la commune de Villeblevin acheta la petite colonie pour y installer l’école primaire.
Aujourd’hui, la grande colonie renaît à la vie grâce au partenariat entre la caisse des écoles du XIIe, la communauté de communes Yonne nord, et, la mairie de Villeblevin. Des travaux ont été effectués : un centre de loisirs a vu le jour. Quel plaisir ! Tout reprend vie et redevient utile.
Rosine Robin (2010)